AUTO #24 - LA FORMULE EN ÉVOLUTION

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19.10.18

Alors que la Formule 1 doit faire l’objet de réformes majeures en 2021, la FIA et les détenteurs des droits commerciaux dévoilent les bases du changement, avec un ensemble de nouvelles règles pour 2019, destinées à régler une question importante: comment proposer des courses plus serrées, avec plus de dépassements.

Qu’est ce qui fait un bon Grand Prix de Formule 1 ? Demandez à 10 personnes et vous obtiendrez 10 000 réponses différentes. Mais il y a une chose sur laquelle tout le monde est d’accord, c’est la nécessité d’avoir des courses plus haletantes. Cela est souvent interprété à tort comme une attente de dépassements constants, mais une course serrée, c’est bien plus que cela : le potentiel dépassement compte, mais on attend également plus d’égalité dans les possibilités d’attaque et de défense.

Sur certains circuits, la génération actuelle de monoplaces en F1 peut rarement s’ébattre en course serrées. La mise à jour aérodynamique de l’an passé a vu arriver des voitures plus rapides, plus aérodynamiques, capables de battre des records du tour dans le monde entier. Mais la règlementation a également eu une conséquence inattendue : il devient difficile pour les voitures de se suivre. Les modifications du règlement technique à venir en F1 vont régler ce problème l’an prochain.

Ce n’est un secret pour personne, la FIA et la F1 envisagent des modifications techniques importantes pour 2021. Mais on pourrait en avoir un avant-goût dès la prochaine saison. Les changements prévus en 2019 sont un aperçu du grand projet de 2021. Une recherche collaborative entre la FIA et la F1 a produit un élément de révision qui pourrait être introduit de manière isolée, sans perturbation majeure. Huit des dix équipes de F1 l’ont testé et les résultats suggèrent clairement que cet élément pourrait rendre les courses plus serrées. En conséquences, cette modification a été apportée au règlement technique F1 de 2019.

Le cœur du problème est l’appui aérodynamique, ou le manque d’appui aérodynamique. Les F1 modernes en génèrent beaucoup mais dans une fenêtre d’action réduite. La force d’appui est au cœur des performances de la voiture, mais pour qu’elle tire le meilleur parti de son ensemble aérodynamique, elle doit évoluer dans un air non perturbé (« propre »). C’est tout le contraire de l’environnement subi par un pilote qui se retrouve derrière un autre : le premier créée un sillage turbulent (« sale »), et plus le poursuivant se rapproche, plus ses performances aérodynamiques en pâtissent. Le chasseur à du mal à remonter sur sa proie.

On ne peut éviter une certaine quantité de turbulences et il s’agit même plutôt d’une bonne chose, car cela compense les effets de l’aspiration, rendant ainsi le combat plus égal. Mais le profil aérodynamique adopté par les F1 actuelles produit un sillage trop turbulent, un revers malheureux pour des voitures finalement plus rapides et plus efficaces. Les chercheurs en aérodynamique utilisent une mesure appelée Coefficient de Pression Totale (TPC) pour parler de l’énergie contenue dans un flux d’air. Si la voiture de devant a un TPC égal à 1, un poursuivant proche aura un TPC de 0,4 ou 0,5. Ce qui signifie que cette voiture perd environ 40 à 50% de son appui aérodynamique. Les nouvelles règles tendent à réduire cette turbulence et à rééquilibrer les forces entre l’attaque et la défense.

Le Responsable Technique en Chef de la F1, Pat Symonds, est un des experts au cœur du projet. Il nous explique rapidement le problème : « Les roues avant d’une F1 produisent un sillage très sale et les équipes veulent l’écarter pour assainir le flux d’air qui circule sur la voiture. On peut produire des vortex spécifiques en réglant les ailes avant et le système de freinage. Si vous regardez les ailes avant actuelles, il y a beaucoup d’éléments placés dessus. Chaque élément est voué à créer un vortex, pour contrôler le flux d’air. Malheureusement, quand vous créez ce vortex avec la roue avant sur une durée prolongée, vous créez une large zone d’air pauvre en énergie derrière la voiture, réduisant l’appui aérodynamique de la voiture qui suit. »

Cet effet ne peut être totalement annulé, mais on peut l’atténuer. La nouvelle règlementation vise justement à réduire le sillage des roues avant, en modifiant la forme et la nature de l’aile avant et en simplifiant les conduites de frein. Cela permettra au flux d’air de suivre un chemin plus naturel autour de la voiture. Les différences sur la carrosserie seront perceptibles uniquement pour les yeux très affutés.

« C’est un changement important qui va être opéré sur l’avant des voitures, » déclare le chercheur en aérodynamique Nikolas Tombazis, responsable FIA des questions techniques relatives aux monoplaces. « L’aile avant sera réduite à 5 éléments, et nous avons mis en place des règles qui confèreront à ces éléments un changement progressif de forme, sans à-coups, sans discontinuité,  avec facettes et ailettes sur la surface qui créeront les vortex stratégiques qui pousseront le flux d’air des roues avant vers l’extérieur. Les plaques de terminaison des ailerons seront simplifiées et sous l’aileron, les équipes devront se cantoner à deux grillages. »

Derrière l’aile avant, la nouvelle régulation simplifiera également les conduites de freins avant. Au cours des dernières années, elles on évolué de manière assez fantaisistes avec des designs crénelés, sculptés, ce qui n’aide en rien au refroidissement des freins mais créée en revanche davantage de perturbations en canalisant les flux d’air dans les moyeux de roue. Les nouvelles règles forceront la simplification de ces conduites, en les dépouillant des ailettes créatrices de vortex qui les ornent actuellement.

L’effet champignon

Canaliser les perturbations plus près du centre de la voiture ne nécessite pas seulement de limiter le champ des turbulences, il faut que l’air « sale » produit soit collecté et contenu par l’aileron arrière, pour être ensuite redirigé vers le haut de la voiture, et on le souhaite, au-dessus de la voiture qui suit, dans un phénomène que les chercheurs en aérodynamique appellent le « mushrooming ».

« L’aileron arrière est sans doute la clé de courses plus serrées, » explique Tombazis. « Il est acteur de deux forts mouvements d’air qui tirent le flux du sol vers le ‘champignon’. Ce champignon est poussé vers le haut puissamment et rapidement, permettant ainsi à l’air ‘propre’ d’être aspiré par les côtés en remplaçant l’air turbulent qui lui, est évacué vers le haut. Cet air ‘propre’ est une énergie plus importante, qui a des effets bénéfiques sur l’aérodynamique de la voiture qui suit. »

« Nous voulons augmenter cet effet de ‘mushrooming’ et le rendre encore plus puissant, mais aussi lui permettre d’embarquer plus d’air ‘sale’ pour l’évacuer vers le haut et hors du champ d’action. » Bien que les changements sur l’avant aient un effet significatif sur l’isolation, selon Tombazis, les nouvelles règles apporteront un coup de boost avec un aileron arrière plus efficace. Il va grandir de 50mm en largeur, 20mm en profondeur et aidera à faire un bon ménage vertical.

A-t-on une idée claire des gains liés à ces améliorations ? Les chiffres pourraient parler, mais prévoir les performances sur le terrain à 6 mois ou plus du lancement des nouvelles directives, cela relève plus de l’art que de la science. Les équipes qui ont décidé de tester la nouvelle règlementation sont tous d’accord pour dire que c’est une aubaine pour l’égalité des chances, mais on ne pourra dire à quel point avant la saison prochaine, bien que certains ont déjà testé la version 2019 des ailes lors de tests menés après le Grand Prix de Hongrie en Juillet.

Williams fait partie de ces équipes et le directeur technique en chef ,Paddy Lowe, se déclare ravi des nouvelles règlementations. En parallèle à son travail pour McLaren, Lowe a participé à l’Overtaking Working Group, dédié à la refonte aérodynamique de 2009, date de dernière modification de la géométrie des F1 afin d’optimiser les dépassements.

« Tout le monde sait que Williams a soutenu cet ensemble de règlementations, » a-t-il déclaré. « Pour connaître l’histoire et avoir été impliqué dans le processus d’amélioration des règlementations, je suis franchement pour. »

« Je ne suis pas particulièrement fan des règlementations de 2017, selon moi, elles ont fait reculer les opportunités de dépassements. Je pense que si on ne fait rien maintenant, les choses vont s’empirer, car les équipes développent de plus en plus d’appui aérodynamique. La FIA et la FOM ont raison à ce stade de décider de faire les choses différemment pour 2019 et 2020. J’ai une grande confiance en les aspects techniques développés, nous allons dans la bonne direction."

Il est difficile de chiffrer la différence qui suivra ces modifications, car chaque voiture a entre autres un niveau de sensibilité différent aux flux d’air, et sera donc affectée différemment par leur réduction. Quand on lui demande une évaluation approximative quantifiée des résultats du changement de régulation, Tombazis suggère qu’il est difficile de donner des chiffres, mais que le potentiel est clairement présent.

« Nous considérons que la position critique se situe entre 15 et 20 mètres entre deux voitures. C’est la distance moyenne entre deux voitures espacées d’une demi-seconde s’approchant d’un virage à vitesse moyenne. Avec la génération actuelle, la voiture poursuivante perd 30% d’aérodynamisme dans ce scénario, nous voulons réduire cette déperdition de 10%.

« Il est difficile de donner des chiffres exacts. Ce qui est certain, c’est que les équipes ont toutes tendance à développer l’appui aérodynamique, ce qui empire le problème. Si nous n’avions pas décidé d’intervenir, je pense que 2019 aurait été encore pire que 2018, et 2020, pire encore que l’année précédente. Nous pensons que la saison à venir sera bien plus intéressante, même si personne ne s’attend au même spectacle qu’avec les voitures de tourisme. »

Une partie de l’attrait pour la F1 réside dans la diversité des défis, impliquant la conception de voitures capables de gérer les circuits rapides comme Silverstone, ou les routes tortueuses et piégeuses de Monaco. Les dernières années ont vu exploser les records du nombre de dépassements, mais on assiste également à un classement au profil statique. Le but des nouvelles règles n’est pas de transformer le calendrier en un festival de dépassements mais plutôt de retrouver l’adrénaline automatiquement générée par des courses plus serrées, plus haletantes.

Cela peut éventuellement conduire à plus de dépassements, mais aussi mettre en évidence la détermination et le travail mis en défense de sa position. Ce dont les deux résultats souhaités non seulement par la FIA mais aussi par la communauté F1 qui souhaitent un ensemble technique permettant aux pilotes d’utiliser chaque pour-cent de leur expérience, de leur courage, de leurs compétences, et de pouvoir être récompensés en fonction de cela. Les changements plus complets prévus pour 2021 devraient avoir des effets spectaculaires, mais les ajustements de 2019 sont un pas prometteur dans la bonne direction. La machine est lancée !

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