ESPRIT NOVATEUR

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07.11.18

Au cours de sa carrière longue de près de 70 ans, le Dr Jean Jacques Issermann est à l’origine d'une série de progrès médicaux dans le sport automobile. Et alors qu'il continue d'établir la norme en matière de procédures de désincarcération des conducteurs, à 95 ans, il ne compte pas rendre son tablier.

Jean Jacques Issermann nait à Paris et a suit une formation de médecin, mais son premier emploi, comme médecin généraliste de village, le pousse à s'installer dans une petite ville près du Mans. En 1949 s’y tient la plus grande course d'endurance du monde organisée après la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'était l'année de Luigi Chinetti et Ferrari. « Quand le train s'est arrêté en gare d'Arnage (en direction du Mans), j'ai entendu le bruit des voitures », nous dit Issermann en souriant.

Lors de la course de 24 heures de l'année suivante, il est en piste, jeune médecin prêt à rester en service toute la nuit au poste de sécurité Mulsanne (PSR 78). Issermann est à nouveau présent en 1955, trop loin de ce qui reste la plus grande tragédie de toute l'histoire du sport automobile : les débris de la Mercedes de Pierre Levegh tuent 83 spectateurs blessent près de 180 personnes.

L'année suivant la tragédie, le Dr Issermann s'installe à Chevilly-Larue, au sud-ouest de Paris, non loin d'un autre célèbre circuit de course : Montlhéry. Le jeune médecin décide qu'il est temps qu'il commence à piloter correctement, qu'il suive des cours à l'école de conduite locale et qu'il commence à concourir, en plus de retourner au Mans chaque année en tant que médecin. Il devient également médecin-chef à Montlhéry, chargé d'entraîner toutes les équipes médicales sur cette piste après une autre tragédie : cinq personnes tuées lors d'une première édition des "1000 Km de Paris", une course de voitures de sport très populaire.

En 1967, Jean Lucas présente le Dr Issermann à Claude Bourillot, alors Président de la FFSA, et insiste sur ‘la nécessité de créer des structures médicales inexistantes’, à commencer par des équipes dédiées aux urgences et à la réanimation sur les pistes françaises.

La demande conduit Issermann à étendre ses visites sur des circuits où il court généralement dans un but différent, pour penser l’élaboration d'installations médicales et le renforcement des effectifs. Il réussit à convaincre la Fondation Citroën Total de financer un véhicule d'urgence innovant pour assister à de grandes courses automobiles en France.

Le Dr Issermann est au Circuit Paul Ricard pour l'inauguration en 1970, après avoir mis en place l'ensemble de la structure médicale sur la nouvelle piste. Il entre ensuite dans l'histoire en 1972 au Grand Prix de France de Charade, lorsque lors des essais, il demande à Vic Elford de conduire une Porsche au milieu des F1. Deux jours plus tard, il remet ça au départ de la F3, mais à l'arrière du peloton. Un accident se produit dans le premier tour et M. Issermann peut réagir rapidement : la voiture médicale est née. Deux jeunes pilotes français sont de service ce dimanche-là, pour la conduire en cas d’accident lors du Grand Prix de France de F1 : Jean-Pierre Jabouille et Patrick Depailler, qui remporteront par la suite plusieurs courses de F1 pour Renault et Tyrrell.

 

Innovations médicales

Le Dr Issermann suit Jean-Marie Balestre - qui lui fait toute confiance - de la FFSA à la FISA puis à la FIA, où une commission médicale est créée dans laquelle il travaille en étroite collaboration avec feu le Dr Sid Watkins.

En 1989, le pilote français Philippe Streiff est victime d'une énorme chute lors du Grand Prix du Brésil et perd l'usage de ses jambes. M. Balestre promeut le Dr Issermann au poste d'inspecteur médical permanent de la FIA, chargé d'évaluer et de corriger les structures médicales de tous les circuits du monde qui accueillent un championnat du monde labellisé FIA. Il occupera ce poste pendant les trente années suivantes. Puis, à Hockenheim, pour le GP d'Allemagne, l'espoir italien Emmanuele Pirro est lui aussi victime d’un accident. Le président Balestre l’appelle donc « à trois heures du matin », se souvient le Dr Issermann. « Il m'a dit que si je ne trouvais pas de solution dans les 48 heures, il me virerait. Heureusement, j’avais déjà quelques idées en tête, grâce à diverses expériences au Royaume-Uni ou en Hongrie. Je me souviens aussi avoir obtenu une unité de sauvetage complète (KED) de l'hôpital de Birmingham à l'occasion d'une course de F3000. Le kit avait été créé pour les victimes de tremblements de terre et, évidemment, ils ne l'avaient jamais utilisé. Alors je l'ai emprunté…"

Début 1990, le Conseil Mondial du Sport Automobile de la FIA décide que des équipes de désincarcération dédiées doivent être présentes sur toutes les pistes où se déroulent une course de Championnat du Monde homologuée par la FIA, et les entraînements débutent alors sur différents circuits français (Le Mans, Magny-Cours et Le Castellet) sous la supervision d'Issermann et du Professeur Gérard Saillant, Président de la Commission Médicale de la FIA. Au cours des 28 dernières années, des dizaines d'équipes de désincarcération ont été formées aux quatre coins du monde du sport automobile. Des commissaires de course et des médecins pour la plupart, mais aussi des membres d'équipes de course bien établies dans toutes les disciplines.

Plus tôt cette année, un important séminaire d'extraction a eu lieu au Mans, organisé par la FFSA et l'ACO, avec un large éventail de belles voitures de course dont une Toyota TS030 Hybrid offerte par le géant japonais. Des équipes d'extraction de toute l'Europe y ont participé, ainsi que des équipes de F1 et d'endurance, avec des observateurs de Bakou et du Luxembourg.

Les équipes médicales sont certifiées pour seulement deux ans, car « la mise à jour régulière du processus de désincarcération est cruciale. La technologie automobile évolue rapidement », souligne le professeur Saillant. « Nous avons besoin d'équipes compétentes et bien entraînées car les premiers gestes [des équipes d'urgence sur les corps des pilotes accidentés] sont cruciaux. »

Fin juillet, un nouveau centre d'entraînement à la désincarcération a ouvert ses portes sur le Circuit de Spa-Francorchamps en Belgique, à la veille d'une autre course de 24 heures, l'événement phare de la Blancpain GT Series. Issermann y a été mis à l’honneur pour son travail d'un demi-siècle visant à prouver que « l’extraction par des équipes médicales bien formées, dotées des connaissances et de l'équipement adéquats, est essentielle pour sauver la vie des pilotes. » Au Paul Ricard en juin, ils m'ont tous remercié, m'ont embrassé - même Charlie Whiting, le directeur de course de F1 ", rit-il. C'est tout à fait approprié.