AUTO - LÉGENDE DE L’ENDURANCE

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22.01.19

Le record exceptionnel de Tom Kristensen, avec neuf victoires au Mans, est une référence qui ne risque pas d’être égalée de sitôt. Et comme le révèle le pilote phare du plus grand événement mondial de voitures de sport, tout a basculé sur un simple coup de fil à l'été 1997....

On l'appelle « Monsieur Le Mans », et pour cause, Tom Kristensen a remporté pas moins de neuf fois la course classique française d'endurance de 24 heures. Il prend le surnom de Jacky Ickx, l'ancien détenteur du record, dont beaucoup croyaient qu'il n'aurait jamais été battu avec six victoires. Mais la chance est une constante en course automobile, et le Danois, maintenant âgé de 51 ans, a eu la sienne il y a 21 ans.

C’est un des tournants d'une carrière phénoménale, qui a fait de lui bien plus que le pilote le plus titré de l'histoire des 24 Heures du Mans. Il détient le même record aux 12 Heures Sebring blue-riband aux Etats-Unis avec six victoires et on peut aussi lui attribuer le titre de Champion du Monde, ayant remporté le Championnat du Monde d'Endurance de la FIA avec son partenaire de longue date Allan McNish et le Français Loïc Duval en 2013. Et dire qu’il doit tout cela à un seul coup de téléphone reçu durant l'été 1997.
Au bout du fil, il y a Ralf Juttner, directeur sportif de l'équipe Joest Racing. Le vainqueur du Mans de l'année précédente a alors une place libre dans son prototype Porsche WSC95 aux côtés de Michele Alboreto et Stefan Johansson, anciennes stars de Formule 1 en Ferrari. Kristensen est alors le pilote qu’ils choisissent pour compléter leurs effectifs.

Le seul problème, c'est que l'entraînement au Mans doit commencer une semaine plus tard et qu'il n’y a donc pas le temps de faire des essais, et cela, à une époque où les simulateurs n’existent pas encore.

« Cet appel téléphonique a tout changé pour moi », se souvient Kristensen. « Tout s'est passé si vite. Je suis allé voir l'équipe et j'ai fait un essayage de siège. Je suis rentré chez moi, j’ai fait mes valises, puis le lundi, j’étais au Mans. »
Il repart le jeudi. Kristensen doit sa place dans la Porsche privée de Joest à ses succès en Championnat International de Formule 3000 de la FIA cette année-là. Il doit à l’époque tester sa F3000 le jour de la deuxième séance d’essais libres.


« Je n'ai fait que 17 tours lors des essais, mais je savais avant le départ que c'était ma chance », dit-il. « Mes coéquipiers avaient beaucoup d'expérience au Mans et j'étais le nouveau venu, alors il fallait que je fasse mes preuves. Mes deux premiers essais du samedi soir dans la voiture n'ont rien eu de spectaculaire. »
Kristensen commence à se faire un nom en voiture de sport lors des premières heures du dimanche matin. Il monte à bord de la voiture pour la deuxième fois et débute ce qui se transforme rapidement en un étonnant quadruple relais avec un seul set de pneus. Il sort de la voiture après avoir affiché une séquence de tours les plus rapides, dont un nouveau record du tour.
« C'est là que j'ai vraiment commencé à tomber amoureux du Mans », explique-t-il. « A un moment donné, Ralf à parlé à la radio en allemand et a dit : "schnellsten runde, schnellsten runde, schnellsten runde, meilleur tour, meilleur tour, meilleur tour ". Puis il a repris la parole pour me dire : " Record du tour, record du tour " en anglais. J'ai pensé que pour qu'un Allemand me parle en anglais, j’avais vraiment dû faire quelque chose de bien. »

MEILLEURE PERFORMANCE

Kristensen en est sans aucun doute la meilleure représentation. Juttner reprend la communication peu après, demandant à son pilote s'il se sent capable de rester sur la piste pour un quatrième relais sans précédent sur les même pneus. C’est le tournant de la course. Kristensen et ses coéquipiers commencent alors à mettre la pression sur la Porsche de tête, qui abandonne à moins de 90 minutes de la fin de l'épreuve. « C'est à ce moment-là que nous avons commencé à entrevoir notre victoire », dit Kristensen. « La Porsche d'usine devant nous avait des problèmes, et le fait que nous les poussions à bout y a contribué. »

Cette première sortie au Mans met Kristensen sur la voie de la starification. Il est repris par BMW pour l'année suivante et deux ans plus tard,  débute une relation avec Audi qui, malgré sa retraite du poste de pilotage à la fin de la saison 2014 FIA WEC, continue à ce jour. Kristensen est alors conscient qu’en sport automobile, il faut savoir saisir les opportunités. Peu de gens se souviennent qu'il n'a pas participé à sa première saison complète de course automobile avant l'âge de 23 ans. Et bien qu’il ait été un pilote de Kart couronné de succès, terminant deuxième du championnat du monde de Formule K en 1987, ses efforts pour aller de l'avant ont été ralentis par manque de moyens financiers. Lorsqu'il obtient sa chance avec Volkswagen Motorsport lors du Championnat d'Allemagne F3 en 1991, il n’a alors disputé qu'une poignée de courses automobiles.


« Je travaillais comme employé de banque. Ma mère était heureuse, mais je ne réalisais pas mon rêve », se souvient Kristensen. « J'avais fait quelques courses, testé quelques voitures, mais je n'avais pas les moyens financiers de progresser.
Mais il y avait quatre ou cinq personnes qui ont vu ce que je pouvais faire et qui ont cru en moi. Ils disaient à Bertram Schaefer, qui dirigeait l'équipe de F3 de VW, qu'il devait m’embarquer. »
 

« La course en F3 Allemande a été le tremplin de ma carrière. J'ai fait quelques essais, puis j'ai gagné la première course à Zolder en Belgique. C'est peut-être l’évènement le plus déterminant de ma carrière. Tout s'en est suivi. Sans cette opportunité je serais probablement encore à la banque. »
Sa décision de passer chez Audi pour la saison 2000 marque un autre tournant. La marque allemande a connu sa première saison de course de voitures de sport en 1999, mais Kristensen décide de s'engager après qu'on lui ait montré des croquis de sa future voiture. « Les gens me demandaient si j'étais pas un peu fou d'aller chez Audi », dit-il.  « Mais le Dr Wolfgang Ullrich [le patron d’Audi Motorsport] m'a montré les dessins, j'ai aimé ce que j'ai vu et nous avons scellé le pacte par une poignée de main. La première fois que j'ai piloté la voiture, je savais qu'ils avaient fait une super machine. »

Kristensen réalise ensuite un triplé de victoires sur le prototype Audi R8 avec Emanuele Pirro et Frank Biela en 2000-02. Ce succès revêt un caractère spécial en tant que première victoire pour Audi au Mans, mais la victoire de 2001 reste probablement la plus émouvante des neuf à son actif. Alboreto, qui rejoint Audi en 1999, décède dans un accident lors des essais moins de deux mois avant Le Mans.


« Il ne fait aucun doute qu'en termes de pilotage pur, Le Mans m’a posé les plus gros défis », explique Kristensen. « C'était une course difficile parce que nous avons eu quelque chose comme 19 heures de pluie. »
« L’évènement le plus marquant est survenu tôt le dimanche matin. On m’a équipé de pneus intermédiaires et j'ai enduré les 20 minutes les plus effrayantes de ma vie. J’ai passé 20 minutes à frôler l’accident parce que je n'arrivais pas à faite monter les pneus en température. »
« Je me suis plaint à notre ingénieur, mais il est resté très calme et m'a dit de rester sur l’extérieur. C'était la bonne décision et à l’arrêt au stand suivant, nous avions étendu notre avance. A l'époque, je sentais que c'était trop lourd à porter pour mes petites épaules. »
C’est l’émotion sur le podium. Kristensen, ses coéquipiers et Ullrich tombent tous en larmes.
"Nous étions tous allés aux funérailles et le Dr Ullrich nous avait dit que si nous ne voulions pas courir, nous n’y étions pas obligés. Mais on a couru en l’honneur de Michele. Il y avait quelque chose en chacun de nous qui disait : « Bon sang, nous allons continuer et essayer de gagner la course. Il sera temps plus tard de se laisser submerger par nos émotions. »
La cinquième victoire du Mans pour Kristensen, alors qu’il court pour Bentley, marque sœur d'Audi en 2003, est spéciale pour différentes raisons.

« La Bentley Speed 8 est la voiture de course la plus cool et la plus élégante que j'aie jamais pilotée », dit-il. La plupart des gens considèrent le triomphe d'Audi en 2008 (avec le turbodiesel R10 TDI) comme l'une des plus prestigieuses éditions des 24 Heures du Mans. Audi n'a pas eu l'occasion d'affronter Peugeot, mais Kristensen, McNish et Rinaldo 'Dindo' Capello ont réussi à tenir un rythme de course relativement lent pour ensuite exceller sous la pluie du dimanche matin.
« Les gens nous disaient qu’on ne pourrait pas gagner cette course, mais cela a clairement boosté notre volonté de gagner », dit Kristensen. « Nous avons fait la course parfaite, et je ne parle pas seulement d'Allan, Dindo et moi-même. Il en va de même pour les ingénieurs et tous les mécaniciens de Joest. Dindo a bien résumé quand il a dit que c'était une course où les hommes ont battu les machines. »
Kristensen remporte une autre victoire au Mans lors de la saison 2013 avec l'Audi R18 e-tron quattro, frôlant une dixième victoire l'année suivante. 

« Dimanche midi, à l'heure du déjeuner, nous tendions une main en sueur vers le trophée. Nous ne l’avons pas eu, mais nous avons quand même pu terminer deuxièmes », dit-il. « J'ai dit au Dr Ullrich sur le podium que je ne pouvais pas attendre l'année suivante, mais plus tard pendant l'été, j'ai commencé à penser qu'il était peut-être temps d'arrêter. Je pense que c'était le bon moment pour me retirer. »

TOUJOURS À L’ATTAQUE

Kristensen est plus occupé que jamais, quatre ans après avoir raccroché son casque. Il reste très impliqué chez Audi : ses fonctions d'ambassadeur de la marque l'amènent aux quatre coins du monde et il participe également à l'organisation des stages d’entraînement pré-saison pour les pilotes. Son expérience est également très recherchée dans le monde de la télévision. Il est commentateur expert de Formule 1 pour la télévision danoise et rejoint chaque année l'équipe d'Eurosport pour Le Mans.
Il a également un rôle actif au sein de la FIA, entre son mandat de Président de la Commission des Pilotes, et ses fonctions en matière de contrôle des courses au poste de Commissaire des Pilotes en Formule 1. Il est particulièrement enthousiaste à l'égard de la Commission des Pilotes.


« Notre travail consiste à conseiller les autres commissions de la FIA », explique Kristensen au sujet d'un organisme qui compte également parmi ses membres Pirro, Derek Warwick et Karun Chandhok. « La Commission des Pilotes de la FIA a donné une voix aux pilotes pour la première fois, et pour tout cela, nous devons remercier le Président de la FIA Jean Todt. Il a été très bien accueilli par les pilotes, et je pense que notre contribution a également été bien accueillie. »
D'une manière ou d'une autre, Kristensen trouve encore le temps de garder un pied dans les cockpits. Il a participé - et gagné - à la réunion historique de Goodwood Revival dans une variété de machines. Kristensen ne regrette absolument rien de sa carrière. Il n'a pas couru en F1, mais il n’échangerait pour rien au monde ses succès au Mans contre un bref passage au sommet du sport automobile.
« J'aurais adoré faire un championnat de F1 », dit l’homme qui a testé plusieurs F1 à son époque, « mais seulement si j'avais eu la chance de me battre pour le championnat. Quand on est jeune, on rêve tous d’arriver en F1, mais je crois que ma carrière vaut tous les titres de F1 du monde. »
Selon Kristensen, Le Mans est « le format de course ultime ». Et cela, il en est convaincu depuis une fameuse nuit de 1997.